Oct 24, 2013
Toute l’Egypte découle de cette ambiguïté : où commence la , vie où finit-elle ? Où commence la mort, où s’arrête-t-elle ? A toute époque, le mobilier de la tombe perdure la vie alors que manifestement il s’agit d’une autre vie. La mort est présente parmi les vivants, quand elle enjoint, par le truchement d’un dicton, d’accomplir « un jour heureux », chacun ignorant si le soleil se lèvera au matin d’un nouveau jour. Si pour l’Egyptien, vaincre la mort est essentiel, le désir de dépasser la vie ne l’est pas moins. Ainsi les vocables vie et mort ne recouvrent pas ce que nous, modernes, pouvons y mettre. L’Egypte ne serait-elle donc pas un point d’équilibre entre la vie et la mort telle que nous les concevons ?
L’élément matériel est le corps : le djet qu’il convient de préserver par la momification afin que les autres éléments de la personnalité puissent reconnaître leur propre « résidence ». Toutefois ce djet n’est pas unique. Une statue peut en tenir lieu. Ce djet est formé d’éléments concrets et d’éléments abstraits.
Est considérée comme concrète, l’image invisible du corps dans l’au-delà : c’est le khat qui réside dans la Douat (le royaume des morts calqué sur la géographie de l’Egypte). En cette Egypte souterraine poussent des blés extraordinaires cultivés par les ouchebtis. Devenues des Osiris, ces statuettes travailleront à la place du défunt et pour son bien-être. Est généralement considérée comme concrète l’ombre du défunt : la khaibet et shout, en rapport avec le noir qui prédispose à la gestation de la vie. Sont par contre abstraites des notions que, faute de mieux, nous traduisons par « âme » à savoir : le ba, le akh, et le ka.
Le défunt , sous forme de l’oiseau ba à tête humaine, quitte la dépouille pour errer parmi les vivants après avoir traversé les murailles du tombeau. A volonté, il réintégrera la momie à condition qu’il y puisse reconnaître sa propre enveloppe charnelle. Lié au culte stellaire, le ba est la force animatrice qui permet au cadavre de parvenir au jour. En remuant ses ailes, il éveille le mort.
Quant au akh, qui peut être rendu par le mot esprit, il s’agit d’un élément que le défunt ne possède qu’après la mort, c’est sa force surnaturelle. A l’origine, seuls les dieux et le roi possèdent le akh, puis selon un processus bien connu, chaque particulier en bénéficiera.
Enfin le ka, notion que l’égyptologue G. Maspero a traduite par le  »double ». En fait, il s’agit d’un concept difficile à cerner. Pour s’en convaincre, il suffit de citer les interprétations de divers auteurs. A. Erman évoque l’incarnation de la force vitale ; C. Breasted, celle du génie protecteur comparable à l’ange gardien ; quant à Kees, il englobe toutes les qualités abstraites visant à la continuation de la vie. Ainsi le ka précède l’homme dans la mort, et l’égyptien, n’employant jamais le verbe mourir en parlant de quelqu’un, évoque ce mystère en disant : « il est passé à son ka. »
La mort n’a pas d’importance pour l’égyptien. Ce qui est terrible, c’est de devenir « comme quelqu’un qui n’est pas vu », c’est la perte de son identité, c’est que son nom soit effacé ; c’est alors que tout s’arrête et que tout repart au néant. Ainsi, tant que le nom du mort est prononcé, cela lui permet d’exister. Telle est la force du verbe et de l’écrit dans l’Egypte ancienne. Primauté de l’esprit sur la matière.
Le mot, la phrase gravés dans la pierre du tombeau avaient valeur de rendre à l’existence ce qui n’existait plus, lorsque les vivants omettaient de pourvoir aux offrandes du culte funéraire.  Ainsi, écrire « mille pains, mille volailles, etc … » revenait à faire exister ces pains et ces volailles pour le service de bouche du défunt. On touche ici au souci d’efficacité de ce peuple auquel la conquête et la maîtrise du langage conféra une prise de possession directe sur le monde sensible, ce qui ne cessa de l’émerveiller. Ainsi, les stèles invitaient le passant à prononcer les noms des habitants de la tombe. Il s’agissait là de l’hommage le plus vrai que les vivants pouvaient rendre à ceux de l’au-delà . Prononcer le nom du mort, c’était faire revivre cet individu. Effacer, marteler les cartouches d’un souverain, c’était le renvoyer au néant.
Cependant la magie du verbe ne suffit pas aux cÅ“urs purs, qui ne vivent que par l’élévation de l’esprit. Les mythes de Rê et d’Osiris y pourvoient. Celui qui a le cÅ“ur pur, plus léger que la plume de la déesse Maât qui est vérité et justice, rejoindra les Champs d’Ialou, domaines agricoles divins, où règne Osiris.
Pour des raisons historiques, le culte de Rê, trop lié à la personne royale et au devenir du roi dans l’au-delà , n’a pas eu de prise sur les plus humbles. Par contre, le culte d’Osiris était une croyance plus humaine. Après avoir été un roi-pasteur et agriculteur du Delta à l’époque préhistorique, et après avoir été ressuscité par son épouse, suite à une mort violente causée par son frère Seth, Osiris devint le souverain de l’au-delà et le consolateur des âmes en détresse, le dieu salvateur des petites gens, qui avait souffert et avait ressuscité d’entre les morts. Le triomphe d’Osiris survint au crépuscule de la VIe dynastie à la fin de l’Ancien Empire quand disparut le temps des certitudes.