Avr 7, 2014
Si les textes de l’Égypte ancienne ne traitent pas explicitement des droits de la femme par rapport à ceux de l’homme, c’est parce que l’égalité des sexes y était l’évidence même. Pour d’autres sociétés antiques du bassin méditerranéen, où le « sexe faible » ne jouissait pas des mêmes pouvoirs, la condition juridique de la femme égyptienne devait paraître exceptionnelle. Aussi les malentendus, qui existent au sujet du caractère soi-disant « matriarcal » de la société égyptienne, sont-ils dus à des sources grecques et romaines, et non à des documents égyptiens.
La conclusion du mariage entraîne, pour les deux époux, des devoirs et des droits qui sont définis dans un document juridique. Les dispositions réglant la gestion des biens matrimoniaux et les questions de succession en forment le contenu essentiel, sinon unique. Les sources restent muettes tant sur la conclusion proprement dite du mariage que sur les formalités qui l’accompagnaient, et ce silence donne l’impression que le mariage n’était pas considéré comme un acte juridique. La promise reçoit un présent de son futur époux qui se rend en public auprès de son beau-père pour lui demander la main de sa fille.
Quand elle entre en ménage, l’apport de la femme consiste surtout en biens meubles. Il s’agit d’une sorte de trousseau, accompagné parfois d’une dot en nature, suivant le principe que la femme paie une avance à son mari sur les frais de son entretien. Dans les documents relatifs aux obligations alimentaires, le mari s’engage, en outre, à consacrer tout son avoir à l’entretien de son épouse. Ces dispositions en matière de biens matrimoniaux paraissent très importantes en cas de divorce, alors que les motifs mêmes de la séparation ne sont pas pris en considération. La question de la culpabilité n’est pas posée. Néanmoins, un mariage peut être dissous pour des raisons de stérilité ou d’adultère; celui-ci peut être lui-même l’objet de sanctions pénales.
Lorsque le mari rompt le mariage, l’épouse conserve la dot, les biens de la femme et un tiers du patrimoine familial restant. En outre, elle peut prétendre à une pension alimentaire. C’est pourquoi la monogamie, qui était généralement respectée en Égypte, semble avoir eu une raison d’être pratique : le mari sort appauvri d’un divorce, tandis que la femme divorcée continue à jouir d’une certaine aisance. La position remarquablement avantageuse de l’épouse dans les questions de biens matrimoniaux est représentative de la condition générale de la femme dans la société de l’Égypte ancienne. Elle est indépendante et a le droit de gérer les biens qu’elle possédait avant son mariage. Elle peut intenter une action en justice, léguer des possessions à ses enfants sans que son mari puisse s’y opposer. Cependant, ces règles ne furent jamais rassemblées systématiquement dans des recueils de lois; elles nous sont connues par les faits réels qui se reflètent dans les documents juridiques. Ainsi en Égypte ancienne, l’égalité des sexes ne semble pas avoir été un principe purement formel. La position de la f emme s’exprime d’une fa çon particulièrement claire dans la pensée religieuse des Égyptiens.
Ainsi c’est Maât, la déesse de l’ordre cosmique, qui conduit les morts au jugement. Au moment du verdict, elle a une voix décisive car c’est elle qui prend place sur la balance quand on pèse le coeur, c. -à -d. l’âme et la conscience de l’être humain. La f emme égyptienne n ‘était pas exclue de l’exercice de certaines prof essions, à l’exception des tra vaux les plus pénibles.
L’administration recrutait parfois des scribes et des chefs de service féminins. L’épouse d’un monarque d’Assiout était vizir et juge , tandis que les textes de Béni-Hassan f ont mention d’une trésorière . Toutes ces fonctions laissent supposer que les jeunes filles jouissaient du droit à l’instruction. Rappelons aussi que la patronne de l’écriture était la déesse Sechai. De nombreux reliefs la représentent tenant un pinceau et une palette de scribe.
Dans le gouvernement du pays, la femme joue parfois le rôle de régente et exerce une influence considérable sur le roi dont elle est la conseillère. Dans le ménage et la famille, l’homme occupe l’arrière plan; c’est la femme qui dirige le foyer. Quand on considère la condition juridique de la femme égyptienne, on est frappé par la souplesse des règles en vigueur. Ces règles ne sont pas fondées sur un schéma rigoureux, mais s’adaptent à la situation spécifique des intéressés tiennent compte de leur milieu social et de leur statut individuel. Le testament de Naounakhte, l’épouse d’un artisan de Deir el-Medina, montre à quel point une femme pouvait agir individuellement.
Ce document, rédigé en l’an 1144 avant J. -C. , contient, en effet, une clausule particulièrement insolite, incompatible avec une succession normale :
En ce qui me concerne … , j’ai élevé ces huit serviteurs ( = enfants). Je leur ai donné un foyer comprenant toutes les choses, comme il est coutume de faire pour leurs semblables. Vois, je suis devenue vieille. Vois, ils ne se soucient plus de moi. En ce qui concerne chacun d’eux qui a posé sa main sur ma main, je lui donnerai une partie de mes biens. Mais quant à celui qui ne m’a rien donné, je ne lui donnerai rien de ce que je possède « ·
Aux environs de 2200 avant J.-C. , un prêtre de Qasr el-Sayad s’exprime d’une façon tout aussi nette. Ayant légué une parcelle de terre à son épouse, il a fait graver celle disposition testamentaire sur une paroi de sa tombe :
J’ai fait cela pour celle-ci (ma femme), Diesenek, parce qu’elle a occupé une place d’honneur dans mon coeur
La veuve y a ajouté une phrase lapidaire :
Quant à tous ceux qui voudraient m’enlever celte terre, je les poursuivrai en justice, au nom du grand dieu
Même après la mort de son mari, la femme continue donc à jouir de ses pleins droits . Une lettre, écrite aux environs de 1000 avant J. -C. , fait indirectement allusion à un différend entre époux au sujet d’une affaire financière. Ayant dû se soumettre à son épouse, le mari, le commandant de l’armée Chedsoukhonsou, s’adresse à son fermier kouchite dans les termes suivants :
Je te communique que je suis revenu à Thèbes. Autrefois je t’avais dit que je ne te laisserais plus cultiver la terre, mais vois, mon épouse, la maîtresse de la maison, m’a dit: ne retire pas la terre au fermier, loue-la lui à nouveau et fais qu’il continue à la cultiver. Quand ma lettre te sera parvenue, prends le champ et ne le néglige pas … « ·
Les inscriptions et les scènes, qui ornent les parois des tombes, nous renseignent d’ une façon très concrète , sur la vie quotidienne en Égypte.
La capacité de la femme à agir dans toutes les affaires de droit privé se transmet du monde terrestre à la vie d’outre- tombe; aux prétentions que la femme peut fa ire valoir à la part du patrimoine conjugal fixé dans le contrat de mariage se substitue le droit à être entretenue dans l’au-delà ; ce droit est concrétisé dans la liste des offrandes qui , du point de vue juridique , peut être considérée comme le texte le plus important du tombeau.
Sur le relief funéraire de Ketisen , toutes les inscriptions sont orientées vers la représentation de la femme , de sorte que les produits énumérés dans la longue liste des offrandes lui semblent destinés.
La taille identique des deux personnages du relief – Ketisen à droite, son époux Houti à gauche – suggère que ceux-ci occupent une position sociale équivalente; néanmoins, un dé ta il de la représentation de la femme ne laisse aucun doute quant aux priorités: Ketisen tend les deux mains vers la table d’offrandes; sa participation au repas funéraire semble donc plus active que celle de Houti , qui est représenté clans une attitude digne, mais plutôt passive. La longue inscription reproduit les paroles que Houti adresse à sa femme : il lui remet une quantité impressionnante d’offrandes , sans doute pour compenser la dot qu ‘e lle avait apportée dans le mariage et dont elle continuera de disposer après sa mort.