Oct 27, 2011
La troisième cosmogonie est, beaucoup plus achevé d’un point de vue théologique. Nous la connaissons par un document unique, tardif puisqu’il date d’un règne du souverain Kouchite Chabaka, à la charnière du 7e et du 6 siècle avant JC : une grande dalle de granite provenant d’un temple Ptah à Memphis et conservé au british muséum. Elle se présente comme la copie d’un ancien papyrus « mangé aux vers » et combine les éléments des 2 précédentes tout en reconnaissant au dieu local Ptah, le rôle du demiurge.
On pourrait même dire que ce sont les éléments héliopolitains et osiriens qui dominent, avec toutefois une recherche très nette de l’abstraction dans la formulation du mécanisme de la création qui se fait par l’exercice combiné de la pensée et du verbe.
Ce texte date manifestement de l’ancien empire, période où Memphis joua le premier rôle national, et sans doute même de la 5e dynastie, c’est-à -dire de l’époque ou la doctrine héliopolitaine la définitivement emporté. C’est également de la 5e dynastie que date le premier document connus d’un autre type, dont le but est, explicitement, de rendre compte de la continuité qui lie les hommes aux dieux : la pierre de Palerme.
Elle appartient à la catégorie des annales, qui nous sont parvenus en relativement grand nombre sous la forme de liste royale, agrémenté ou non de commentaire.
La plus célèbre est l’œuvre de Manéthon, un prêtre de Sébennytos (aujourd’hui Samanoud sur la rive occidental de la branche de Damiette dans le delta) qui vivait à l’époque grec sous le règne des 2 premiers Ptolémées. C’est lui qui a déterminé le découpage de la chronologie historique de 30 dynasties depuis l’unification d’un pays par Ménès auquel on a assimilé Narmer, jusqu’à la conquête macédonienne. Ses Aegyptiaca ne nous sont malheureusement parvenu que de façon très fragmentaire à travers des œuvres tardives.
Les listes antérieures datent presque toute de l’époque ramesside. La plus importante est un papyrus rédigé sous le régime de Ramsès 2 conservé au musée de Turin, sur lequel Champollion fut le premier à travailler, et qui porte une liste organisé par dynastie allant des origines au nouvel empire. C’est sans doute d’une liste de ce type que sont inspirés les tables comme celle de la « chambres des ancêtres » de Karnak, aujourd’hui au Louvres ou du temple funéraire de Séthi 1er a Abydos, celle que l’on a retrouvé à Saqqara dans le tombeau de Tounroî, un contemporain de Ramsès 2, et d’autres de moindre ampleur.
La pierre de Palerme est une plaque de pierre noire fragmentaire donnant la liste des rois depuis Aha, le premier souverain de la première dynastie, et au moins jusqu’au 3eme de la cinquième dynastie Néferirkarê. Malheureusement se document est incomplet et de provenance inconnue : Il est entré au musée de Palerme par legs en 1877 et depuis, 6 nouveaux fragments sont apparus dans le commerce et qui sont conservé au musée du Caire et à l’université collège de Londres. On a mis en doute leur authenticité et leur appartenance même à la pierre de Palerme et une vive controverse de développe à leur sujet depuis presque 1siecle.
Les fragments du Caire énumèrent des rois qui, au début, portent alternativement la couronne de Haute et de basses Egypte. Manéthon et le Canon de Turin, présentent, eux, tout en conservant la structure annalistique une formulation cosmologique des origines : l’intégration du mythe à l’histoire se fait par le recours à l’âge d’or, pendant lequel les dieux ont régnés sur la terre. Les listes royales reproduisent les données des cosmologies et plus particulièrement de celle Memphis : au départ se trouve le fondateur, Ptah dont le rôle est ici proche de celui de Chnoum, le potier qui a créé l’humanité sur son tour, façonnant le réceptacle de l’étincelle divine dans le matériau depuis toujours à la disposition de l’homme : l’argile.
Rê lui succèdent. Soleil qui crée la vie en dissipant les ténèbres, il est le prototype de la royauté, qu’il cédera à Chou, l’air, séparateur de la terre et du ciel. Ainsi sont mis en place les temps principaux de la création. Les compilateurs grecs de Manéthon ne s’y sont pas trompés, qui ont vu dans en Ptah Héphaïstos, le dieu forgeron, et dans Rê Hêlios le soleil. Chou et son successeur Geb, la terre, se partagent le rôle de Kronos et de Zeus chez Diodore de Sicile, qui reconnait ainsi en Geb le père des Hommes.
On voit que l’histoire est un prolongement de mythe et qu’il n’existe pour les égyptiens, aucune solution de continuité entre les dieux et les hommes : leur société est une reproduction quotidienne de la création et se doit, en tant que telle, de reflété l’ordre du cosmos à tous ses niveaux. Son mode de constitution suit donc volontairement celui de l’univers, ce qui n’est pas sans influencer les analyses contemporaines qui en sont faites.
Osiris succédé à Geb et, après l’usurpation de Seth, Horus monte sur son trône. Le Canon de Turin donne ensuite une séquence de 3 dieux : Thot, dont avons vu plus haut le rôle, Maât, et un Horus dont le nom est perdu…
Maât tient une place à part dans le panthéon : Elle n’est pas à proprement parlé, une déesse, mais plutôt une entité abstraite. Elle représente l’équilibre auquel l’univers est arrivé grâce à la création, c’est-à -dire sa conformité à la vérité de sa nature. En tant que tel, elle est à la mesure de toute chose de la justice à l’intégration de l’âme du mort dans l’ordre universel lors du jugement dernier.
Elle lui sert alors de contrepoids pour équilibrer sa pesée sur la balance de Thot. Elle est également la nourriture des dieux, auquel elle apporte son harmonie. Ainsi, le règne de Maât est l’âge d’or que chaque souverain va entreprendre de faire régner à nouveau en affrontant les forces négatives traditionnel qui cherchent chaque jour à travers la course du soleil : Maât est le point de départ d’une histoire cyclique.
Neuf dieux leur succèdent, qu’Eusèbe assimile aux héros grecs. Ils assurent comme ceux-ci, la transition vers le pouvoir des fondateurs humains : les « âmes » (akhou) d’Hérakonpolis, Bouto et Héliopolis, dont la série se clôt par les « compagnons d’Horus » sans doute faut-il voir là le reflet des luttes qui ont conduit à l’unification d’un pays, et pour lesquels le canon de Turin reconnait plusieurs lignées locales. Il distingue clairement le premier « roi de haute et de basses Egypte » (nysout-bity), Meni, dont il répète 2 fois le nom, mais avec une différence d’importance : la première fois il écrit avec un déterminatif humain, la seconde avec déterminatif divin. Ce Meni – Ménès chez Eratosthène et Manéthon – est-il, comme on le pense généralement, Narmer, ou simplement une façon de désigner, comme ses habitudes dans le texte, quelqu’un en général dont on n’a perdu le nom ?
On penserait alors ou roi Scorpion ou à quelqu’un d’autres, dont le nom ne nous serait pas parvenu. On comprend tout de même mal pourquoi il est nommé 2 fois. Est-ce parce qu’il est passé de la situation « untel » à celle de « roi untel », changement de nom en même temps que de statut, le document voyant en lui l’incarnation non individualisé de la somme des détenteurs locaux du pouvoir fondue en un archétype de l’unité ?
Cela expliquerait que la pierre de Palerme ne connaisse comme premier roi qu’un Aha, qui serait alors un autre nom, celui « d’Horus », de Narmer Ménès.